Espace d’accueil, mégalopole étalée soumise à la tyrannie des intérêts individuels, la ville des anges a hérité du petit nom de « Suburbia ». Pourtant, Los Angeles ressent de plus en plus le besoin d’une sphère publique à ses objectifs privés
Quartier général de la production cinématographique, Los Angeles n’a pas tardé à devenir, dès 1908, la toile de fond de ses propres films. Plages de Malibu, gigantesques échangeurs d’autoroute de la San Fernando Valley, lotissements étirés à l’infini, son paysage urbain est sans doute le plus familier qui soit pour les téléspectateurs de la terre entière. Pourtant, elle est unique. Aucune ville au monde n’est à ce point construite autour d’intérêts particuliers. Péjorativement appelée suburbia, LA laisse l’impression d’une « ville-banlieue » sans centre ni structure étudiée pour tous. De fait, Los Angeles est la mégalopole qui compte le plus de piscines individuelles, mais le moins de parcs publics, le plus de parkings, mais le moins de métros, etc. La voiture détient un quasi monopole des déplacements, entraînant une saturation du réseau routier. La capitale mondiale du cinéma fait défiler les bandes d’autoroutes aussi vite que ses bobines de films. Du nord-ouest au sud-est, on peut rouler sans quitter la ville pendant une centaine de kilomètres. D'est en ouest, les zones urbaines s'étendent sur plus de cent trente kilomètres. Conséquence, d’importants pics de pollution font apparaître le « smog », épais nuage de fumée jaunâtre. Dès qu'un certain seuil est dépassé, un avis d'alerte est lancé par les services de la ville. Les déplacements en voiture y sont alors limités au strict nécessaire, et les usines ont ordre de cesser de brûler des hydrocarbures.
Chacun pour soi
Mais ce qui achève la ressemblance avec une banlieue, c’est l’accueil incessant de nouvelles populations. Plus d’un tiers des habitants de la ville n’y sont pas nés. En l’espace d’une génération ou deux, la ville des anges est passée du statut de cité la plus blanche des États-Unis à celle qui réunit plus de 140 nationalités d’origine. Los Angeles a connu un boum de sa croissance de population périurbaine dans les années 1960-1970 (+ 36 %), favorisant la formation de ghettos. C’est à cette période que sont développés les grands « gated communities », ces quartiers fermés ultra-sécurisés. Leisure World en 1964, Canyon Lake en 1968 etc. Ces quartiers privés se substituent à la puissance publique, avec l’accord de cette dernière qui leur accorde un permis de lotir. Pourquoi s’enfermer ? Tout simplement pour ne pas « payer pour les autres ». Ces enclaves socialement homogènes ont rompu avec la ville, estimant ne pas avoir à payer les impôts municipaux s’ils n’en bénéficiaient pas totalement. Dans bien des cas, elles paient tout de même la municipalité pour financer des services que la copropriété ne peut pas prendre en charge seule : assainissement, transports en commun (Leisure World), équipements de loisirs et golfs dont la gestion (Newport Coast, Calabasas, Rolling Hills).
En mal d’équipements publics
Malgré ce retranchement des gens sur eux-même, les embouteillages, la pollution, le chômage font apparaître le besoin d’une sphère publique. « Même si les gens préfèrent globalement habiter dans des quartiers où tout le monde dispose des mêmes moyens, beaucoup désirent aussi vivre de manière plus cosmopolite, explique Mara Marks, professeur en urbanisme au CSLA (Center for the Study of Los Angeles). Los Angeles a un taux de mariage mixte cinq fois plus élevé que la moyenne nationale. Certains promoteurs commencent à proposer des unités d’habitation de différentes tailles pour encourager la mixité sociale. Mais souvent, ils ne parviennent pas à convaincre les banques. Ils ne parviennent donc pas à rassembler des parcelles assez étendues pour réaliser des projets d’envergure. ». Face à cette impasse, beaucoup croient en la méthode « Antonio Villaraigosa ». Premier maire latino de l’histoire de la ville, il est aussi le premier à prendre à bras-le-corps les problèmes d’urbanisme de la ville. Avec lui, la ville allongée devrait se redresser. 52 nouvelles tours devraient se construire prochainement, ainsi que des quartiers mixtes bureaux/habitation le longs des actuelles et futures lignes de bus et de métro pour désengorger les autoroutes. “ Sa fonction ne lui accorde que très peu de marge de manœuvre, poursuit Mara Marks. Mais son véritable pouvoir se trouve ailleurs. Il est incroyablement intelligent et charismatique. Il ne cesse de briller devant les caméras pour convaincre qu’il faut reconstruire de nouvelles infrastructures pour décloisonner les quartiers, améliorer le niveau des écoles, etc.» Antonio Villaraigosa veut ainsi faire mieux que Tom Bradley, ancien maire noir de Los Angeles qui a beaucoup œuvré contre les ségrégations de toute sorte. Mais contrairement à son prédécesseur réélu cinq fois, le temps presse pour Villaraigosa. La superstar politique ne peut désormais exercer plus de deux mandats d’affilée. Soit huit ans.
LAPD, l’impasse du tout sécuritaire
Depuis les années 1960, de nombreux quartiers situés dans l’est de LA sont littéralement abandonnés à leur sort, dépouillés d’emplois, privés de services, d’entretien des rues et des bâtiments. Dans ce contexte, les premiers gangs apparaissent. Devant la montée des violences, les dépenses publiques, déjà faibles, se sont concentrées sur la sécurité. À commencer par la reprise en main de la LAPD (Los Angeles Police Department), largement médiatisée des émissions spéciales qui suivent en direct des équipes de police. Sa flotte aérienne comprend aujourd’hui une vingtaine d'hélicoptères dont 3 sont en permanence dans les airs. Cette omniprésence exacerbe les tensions dans les quartiers les moins favorisés. En 1992, une vaste émeute éclate quand un jury principalement composé de blancs acquitte quatre policiers accusés d'avoir tabassé un automobiliste noir. Depuis, le sentiment de peur n’a fait que croître. De plus en plus d’habitants de Los Angeles font appel à des sociétés de protection privées ou organisent des surveillances de quartier dans le cadre d’un programme baptisé « neighborhood watch ».
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