Nouvel album, Arabian Panther. Pour toi la
situation des arabes en France est-elle comparable à celle des Etats-Unis dans
les années 60 ?
Pas exclusivement celle des arabes mais de l’ensemble des gens qui habitent dans les quartiers populaires, donc à savoir les gens issus de l’immigration et certains français de souche qui habitent les banlieues, leur situation est étroitement liée, tout proportion gardée. Je ne veux pas non plus grossir le problème. Ce que l’on vit aujourd’hui n’est pas la même chose que vivaient les américains dans les années 60 mais il y a beaucoup de similitudes et je peux pas m’empêcher de faire le rapprochement, surtout après avoir étudié les motivations du mouvement des Black Panther. Quand je me suis penché sur le sujet, je me sui rendu compte que c’était un groupe de jeunes qui se sont organisés pour sortir d’une condition de vie précaire et en l’occurrence c’est ce que les gens des quartiers essaient de faire par le biais du rap, du sport, en montant certaines société etc, donc c’est cet état esprit là qu’on retrouve dans certains quartiers de France. Et après il y a bon nombre d’événements dans la société française en générale qui me font rappeler qu’on est dans une société malheureusement discriminatoire qui exclut une partie de cette population. Par exemple quand je vois que des jeunes filles à l’école publique sont interdites de rentrer parce qu’elles portent un voile en fonction de leur appartenance religieuse, je ne peux pas m’empêcher de penser à ces jeunes filles noires à qui ont a interdit de rentrer à l’école dans les années 60 en Alabama à cause de leur couleur de peau. Je ne peux pas non plus m’empêcher de faire le lien lorsque je vois, à l’amicale laïque de Roubaix, un écriteau qui dit « interdit aux femmes voilées », je ne peux pas m’empêcher de faire le rapport avec ces bars que l’on interdisait aux jeunes femmes noires dans les années 60. Bref, il y a tout un tas de petites anecdotes comme ça qui me font faire le lien. Il y à vraiment une islamophobie grandissante en France et en Europe, je ne veux pas axé mon discours uniquement sur l’islamophobie mais j’essaye de faire reculer ce cancer qui est en train de gangrener toute l’humanité. Aujourd’hui quand on parle d’Islam ou de musulmans on diabolise les gens. Moi je suis pas là pour égorger des têtes ou mettre la burqa sur les femmes, j’ai des ambitions sociales, culturelles, artistiques qui ne sont nullement les mêmes que celles d’un Ben Laden ou de quelqu’un qui veut semer le trouble dans le monde.
Comment les musulmans de France accueillent tes
albums ?
C’est assez mitigé, il y a une partie de la communauté qui est très réceptive, ils sont contents d’entendre pour une fois un discours qui parle de ce que eux vivent, de leur frustration. Il faut savoir que les musulmans n’ont pas le droit de réponse dans les médias quand ils sont attaqués, qu’ils sont très mal représentés au sein des institutions politiques ou médiatiques. Quand on voit un musulman à la télé, c’est quelqu’un que l’on balance en pâture, qui est en déficit d’élocution, de langage ou bien c’est quelqu’un qui est pris dans un guet-apens et que l’on harcèle en public, comme l’a été par exemple Tariq Ramadan sur France 2. Une partie de la communauté est très friande de ce genre de discours, ils ont envie d’entendre les problèmes que les musulmans vivent parce que le simple fait de poser un problème, c’est déjà apporter un début de solution. Par contre, il y a une autre partie de la communauté très littéraliste et qui n’arrive pas à concevoir qu’on puisse allier une spiritualité avec une activité artistique. Ces gens-là sont en minorité heureusement pour moi et j’essaie à chaque fois de les convaincre par rapport à mon mode de vie. Ca serait irresponsable pour moi d’abandonner le rap, d’autant plus que c’est un moyen de véhiculer un message.
Ceux là, qui sont ils ? des radicaux ?
Je pense qu’ils sont en déficit de connaissances, qui ont mal étudié leur spiritualité, et à chaque fois je les renvoie sur des textes qui sont très précis et qui confirment que je ne suis pas en opposition avec ma foi lorsque je fais du rap
Tu as récemment déclaré que tu regrettais certains propos
de la chanson 11 septembre sortie en 2004, lesquelles ?
Pas de phrases ou d’idées précises, c’était simplement dans la virulence du propos que j’aurais du prendre un certain recul. C’était mon premier album, c’était de cette façon là qu’il fallait que je le dise. Aujourd’hui je prendrais un peu de recul dans la manière de le dire ou de l’expliquer pour ne pas tomber dans l’amalgame, de la même façon que les médias tombent dans l’amalgame par rapport à nous.
Dans Portrait Chinois, tu dis « si j’étais
un rappeur, je serais Renaud », je savais pas que Renaud faisait du rap…
C’est très ironique, Renaud est considéré comme le premier rappeur, c’est quelqu’un qui a un message. Le rap, au-delà de la forme, du débit de mot, c’est un message. Quiconque a un message est considéré comme rappeur. Je redécouvre Renaud au fur et à mesure, j’écoutais ça dans mon enfance car mon entourage écoutait ça mais je redécouvre avec une autre oreille et c’est un artiste français qui gagne à être respecté. Pouvoir traiter deux thèmes dans un morceau, c’est grandiose. Il a par exemple un morceau comme Miss Maggie ou il fait l’apologie de la femme en critiquant le gouvernement Thatcher, j’ai trouvé ça majestueusement écrit.
Tu parles d’allier deux thèmes, tu évoquais dans une
interview récemment la nécessité de trouver des angles, n’est-ce pas un
approche de journaliste ?
C’est plus une approche scolaire car j’ai du mal à voir l’objectivité dans la forme journalistique aujourd’hui, je le déplore d’ailleurs dans certains morceaux de Arabian Panther. Mais à défaut d’être objectif, j’essaie d’être le moins subjectif possible, de me faire violence pour ne pas tomber dans les clichés. J’essaie de prendre un recul par rapport aux événements et de donner le moins d’interprétations possibles, de décrire ce qui s’est passé et peut être de donner mon avis mais en précisant que c’est mon avis.
As-tu un exemple de texte que tu aurais radoucis après
avoir été un peu plus virulent dans un premier jet ?
Par exemple dans la chanson 11 septembre, je condamnais tous les journalistes en bloc en tombant parfois dans l’amalgame et je me suis rendu compte qu’il y avait des journalistes qui faisait très bien leu travail. Dans la chanson RER.D du nouvel album je prends le temps de cibler les journalistes tombés dans l’amalgame et de ne pas mettre tout le monde dans le même panier.
Tu as toi-même été confronté à l’exercice journalistique
pour le Time Magazine, est-ce cela qui à fait évoluer ton opinion sur la
question ?
Aussi certainement. C’est plein de petits facteurs qui m’ont fait prendre compte qu’un journaliste c’est un homme comme tout le monde qui a ses idées, son expérience et qui parfois peut être amené à rentrer en contradiction avec ses propres idées en traitant un sujet. J’ai pas la prétention de me considérer comme un rappeur journaliste comme certains le disent car c’est un métier à part entière, il faut maîtriser des règles, des connaissances. J’ai simplement une démarche scolaire : chaque fois que je fais un morceau, j’essaye de me documenter sur le sujet que j’ai envie de traiter, à chaque fois que je part sur un album je me constitue une bibliographie et une filmographie, ça ne constitue pas pour autant une démarche journalistique.
En quoi les journalistes ne sont-ils pas assez
objectifs ?
D’abord parce qu’ils maîtrisent très mal certains termes. Ensuite parce que quand j’allume la télé ou que je lis la presse populaire, il y a des amalgames envers ma communauté, le gens issus de l’immigration et les gens issus des quartiers qui sont outrant. Je me demande comment quelqu’un qui a fait une formation, qui a fait des études, peut arriver à ce genre de bassesses. Lorsque l’on montre un reportage en Iraq sur une bombe qui explose et que on montre ensuite une jeune fille dans une tournante en France et que après on montre la crise des banlieues, ça me rend malade. Parce qu’il y a une orientation de l’information qui vise a faire rentrer dans la tête de la ménagère sexagénaire ou du français moyen que tout cela est lié, qu’il faut faire attention à ce péril vert qui est en train de s’installer sur le continent, qu’il faut faire attention à l’Islam etc. Il y a une atmosphère pourrie que les médias entretiennent, ainsi que certains intellectuels qui voudraient faire croire que l’Intifada est entré en France
Donc à cette image négative, tu essayes de proposer une
autre image…
J’essaye dans un premier temps de redéfinir des notions, des termes, pour bien que les gens comprennent. Quand j’appelle un album Jihad ( 2005) c’est pas pour effrayer et donner le sens conventionnel, à savoir « guerre sainte ». Je redéfinis le terme en donnant son étymologie qui est « le sens de l’effort » et je complète en disant « le plus grand combat est contre soi-même ». C’est dans ce sens que j’essaie de redéfinir certains mots pour enlever les clichés que les gens peuvent avoir en tête et en même temps jouer sur les symboles, sur la provocation. Quand tu es musulman en France il faut montrer patte blanche, être le gentil petit qui vit sa spiritualité au quotidien. Etre musulman est devenu un facteur d’exclusion. Je ne fais pas de prosélytisme, je ne demande à personne de rejoindre ma foi, je déplore seulement les discriminations dont sont victimes ma communauté.
Cette marginalisation est-elle inexorable, qu’est ce
qu’on peut faire ?
D’abord il faut rentrer dans une logique d’information, éviter de diaboliser et rentrer dans un dialogue avec les responsables religieux, avec les gens qui vivent dans les quartiers, qui sont sur le terrain. On est pas dans la victimisation, je suis là pour poser des problèmes et susciter un débat.
Quel accueil tu attends de ce nouvel album ?
J’attends trois choses, d’abord confirmer ma position d’outsider au sein du rap français. M’inscrire dans le paysage français, faire partie des futurs espoirs du rap. Ne pas qu’on se dise « Medine c’est trop scolaire, c’est un prof d’histoire qui fait du rap etc. » Je veux faire comprendre que le rap « conscient » est compétitif. Le fait de me documenter, de parler de ce que je connais, d’utiliser une bibliographie ça gène des rappeurs car ça les renvoie à leurs faiblesses. Aujourd’hui le rap français en termes de textes est très pauvre, je suis obligé de chercher dans la variété pour trouver de nouvelles façons d’écrire, le rap français est très plat. Des artistes comme Kerry James, Kenny Arkana ou moi les renvoient à leur propre échec au niveau de leur écriture. Ensuite j’espère atteindre des ventes honorables, vendre des disques pour prouver que le rap conscient peut être encore compétitif. Bien souvent on pense que pour vendre il faudrait faire de la musique pour enfants, qui passe sur Skyrock en boucle, de la musique cul-cul. Je pense qu’en mettant du contenu dans nos textes on pourra séduire le public et l’informer sur ce qui se passe. L’objectif est d’avoir des ventes comme celles de Soprano , Diam’s , Rohff ou Booba ( NDLR : soit au moins disque d’or, 75000 exemplaires).
Enfin j’aimerais jeter un pavé dans la mare en termes de discours. On caricature beaucoup le rap aujourd’hui , de même que le musulman ou le jeune des quartiers et moi je suis tout ça. Je veux montrer par l’exemple qu’on peut avoir un discours opposé mais dialoguer ensemble.
Quelle est ta perception de l’évolution de la situation des banlieues depuis 2005 ?
On nous a fait miroiter des choses, du budget, un meilleur confort de vie et ce qu’on fait c’est mettre des couches de peinture mais ça reste un ghetto avec un taux de chômage qui est le même mais au final le problème n’avance pas, la crise identitaire n’est pas réglée. La preuve on siffle la marseillaise dans les stades de foot et la seule solution que l’on a trouvée c’est d’annuler un match. C’est pareil, on ne règle pas le vrai problème qui est la crise identitaire, la crise de l’emploi, et cela d’autant plus pour les gens qui habitent les quartiers. Le tableau est toujours noir et n’est pas près de se blanchir.
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