Villetaneuse – Marena. Dès sa sortie de l’avion, Assa est frappée par la chaleur étouffante du pays qui l’accueille pour la première fois, mais qu’elle connaît déjà, le Mali. Ce ne sera pas sa seule surprise… Carnet de voyage d’une jeune Française d’origine malienne. Mes parents sont maliens, mais je n’étais jamais partie au Mali avant. Ici quand on a des réunions de famille, il y a 100 personnes. Je trouve toujours ça énorme. Mais en arrivant au village, je me suis rendue compte que je ne connaissais qu’une toute petite partie de ma famille. La première semaine, on est restées chez nous et toute la famille venait nous dire bonjour et nous souhaiter la bienvenue…
Françaises!
Je suis partie avec ma petite sœur Hawa, 14 ans, et ma mère. Ma mère n’était pas allée au Mali depuis 1996. Elle reconnaissait quand même tout le monde. Dès qu’on arrivait, les gens demandaient si on était des Françaises… Je ne sais pas comment ils le savaient. Dès qu’on leur disait le prénom de ma mère ou de mon père, ils voyaient qui on était. Souvent, on m’appelait Assa en rappelant mon « toroma », la personne en l’honneur de qui on m’a donné mon prénom: la cousine de la sœur de mon père ou… la sœur de la cousine de mon père, je ne sais plus. La voix de la mosquée Avant de voir la mosquée, on l’entend. Il y a des micros dans tout le village, pour diffuser le sermon. La religion, c’est beaucoup plus important qu’en France. A la fin d’un discours, le président a souhaité un joyeux ramadan à tout le monde. Les Maliens ne sont pas tous très croyants, mais quand ils sont croyants, ils ne le sont pas à moitié ! A Bamako, au moment de la prière, le marché s’arrête. Les gens font leurs ablutions au milieu de la rue. Plus personne ne crie. Canapé ? Dans le village de mes parents, chaque maison a une terrasse car les gens sont souvent à l’extérieur. Ils s’assoient sur des mini bancs individuels. Comme je suis grande, je suis souvent tombée au début. Dans la maison, le salon ne sert que quand il pleut. Il peut y avoir un lit très haut, en bois. Mais ce n’est pas comme en France où il y a les canapés et toute la panoplie. Les télés sont rares parce c’est juste les gens qui ont de la famille en France qui en ont. Il y a aussi un garde-manger pour stocker les céréales. Il y a rarement des réfrigérateurs. Chaque femme a sa chambre. Et souvent son salon. Parfois il y a un couloir entre les deux. Car au Mali, la plupart des hommes ont minimum deux femmes. Ça vous choque peut-être, mais pour un Malien, il n’y a rien de plus banal. Les champs Là-bas, il ne faut pas avoir peur de marcher. Pour aller aux champs, on met une heure. Ce qui est génial, c’est qu’on est en pleine nature. On voit les collines autour, les champs. On vit comme à la campagne. Ce n’est vraiment pas du tout comme ici. Si je pouvais y aller tous les étés, j’irais; mais vivre là-bas, non. Je suis trop habituée à la France. Ce n’est pas pour la télé, ni tout le côté superficiel qu’on a en Occident (même si je l’avoue, ça compte quand même, j’y suis allée avec mon MP4). Mais, déjà, il n’y a pas de livres… et moi je suis une accroc des livres. Chacun sa parcelle Les hommes et les femmes ne travaillent pas ensemble aux champs. Chaque personne a sa propre partie de terre. Ma cousine de 17 ans a son propre champ, qui fait la taille d’un terrain de basket. Elle cultive de l’arachide, du mil, du maïs, comme tout le monde. Le travail des champs est beaucoup plus dur pour les femmes. La femme de mon cousin prenait sa petite de un an sur son dos. Pendant qu’elle travaillait, elle posait sa petite fille sur un tapis avec son autre fille de 5 ans qui la surveillait. Elle lui donnait à manger. Et le soir, elle rentrait avec sa petite fille sur son dos. Ma cousine toute frêle portait un énorme seau d’eau sur la tête pour aller travailler dans les champs. Moi, par contre, j’avais juste un thermos à la main, j’étais trop gênée. Ils sont vraiment sérieux : quand tu viens de France, tu ne dois rien faire. Les hommes vont aux champs à vélo. Ils ont leurs outils et ce qu’il faut semer. Quand je me réveillais mon cousin était déjà aux champs. Les hommes font les tâches les plus difficiles. Ils doivent labourer les champs à la main avec des petits outils alors que la terre est toute dure. A l’aube et à midi, des enfants leur apportent à manger. 12 baignoires d’eau Pour l’eau: pas de gaspillage! On fait 12 allers-retours par jour pour aller chercher l’eau au robinet le plus proche, sur la place du village. Parfois le robinet est fermé, alors il faut marcher 20 minutes pour aller au puits, en portant des seaux ou des baignoires pour bébés sur la tête. Il faut vraiment avoir l’habitude : moi, j’ai essayé de porter un seau, j’en ai renversé la moitié. On récupère l’eau de pluie. Au début, quand je voyais le seau d’eau pour la douche, je me disais que ça ne suffirait pas. Et à la fin, je ne le finissais pas. Et pour la nourriture, c’est pareil, on ne gaspille pas. Une douche sous la pluie Quand il pleut, c’est la fête. Les villageois prévoient la pluie une demi-heure avant qu’elle vienne. Il y a du vent qui emmène toute la poussière... Et il pleut des trombes d’eau. Se laver sous la pluie, c’est génial. On avait du shampooing, partout, je voyais que dalle, ma mère me renversait des seaux d’eau dessus. Ma sœur me regardait dégoûtée… deux jours après elle a fait la même chose. S’il ne pleut pas, c’est une catastrophe, ça veut dire que la récolte sera mauvaise. Sur la chaîne malienne, la météo dure une demi-heure ! Le présentateur dit tous les centimètres d’eau tombée partout dans le pays. Avant de partir au Mali, je ne comprenais pas pourquoi mon père appelait au Mali pour demander s’il avait plu… Maintenant, je comprends ! La politique à coup de casseroles Ma cousine (enfin… la sœur de la troisième femme de mon père) de 15 ans vote. J’avais l’impression qu’elle était plus âgée que moi. Les ados sont vachement mûres là-bas, elles savent tenir une maison, elles savent tout faire. Tout le monde est très engagé politiquement. Il y a deux partis. Presque tout le village est pour le parti Adema, mais une partie est pour le parti URD. Un jour, les partisans d’URD sont venus nous provoquer devant notre maison en faisant croire qu’ils avaient renversé le maire, qui fait partie de la famille de ma mère. Ils étaient une trentaine en moto. Nous on était quatre. On s’est mis à crier « Adema, Adema » en tapant sur des casseroles. A la fin, ils ne savaient plus quoi dire, ils sont partis. Ma mère a dit: ce n’est pas parce qu’on vient de France qu’il faut nous chercher. Le territoire de la femme Bien sûr, j’ai vécu tout ça en temps que femme… Là-bas, le territoire des femmes, c’est la maison, plus particulièrement la cuisine. On dit que l’homme est le chef de famille, mais la femme est le chef de la maison. Les femmes font la cuisine à tour de rôle. En France c’est comme ça aussi. Mon père a deux femmes en France et une au Mali. Pendant que ma mère fait la cuisine, l’autre femme fait les tâches ménagères. Et deux jours après elles inversent. L’école coranique Les petits garçons vont à l’école arabe. A partir de 14 ans, ils deviennent des hommes. Ils vont dans une école coranique, ils travaillent ensemble aux champs comme ouvriers, ils ont des cours d’arabe. Comme ils sont toujours entre garçons, dès qu’il y a des filles, ils sont trop dragueurs. En dehors de leur travail, ils chantent et ils dansent. On avait vu des vidéos de leurs spectacles en France, on avait trop envie d’en voir un ! Si tu veux qu’ils viennent danser pour toi, tu leur apportes de la nourriture, et ils disent quel jour ils peuvent venir. Ils sont une cinquantaine, ils viennent en vélo. Tu leur donnes une liste des noms de ta famille: ils les intègrent dans leurs chansons. Dans un morceau, ils ont dit 15 fois mon prénom. Tous les voisins des alentours sont là. C’est trop court, même s’ils viennent de l’aube jusqu’au soir. J’ai adoré ! Contrat de mariage Les hommes mariés ont leur famille, ils cultivent leurs champs. D’un point de vue religieux, l’homme doit prendre toutes les dépenses à sa charge. Si la femme travaille, l’argent qu’elle gagne, c’est pour son plaisir, ses dépenses personnelles. De ma naissance jusqu’à mon mariage, c’est mon père qui doit tout payer pour moi. C’est pour ça qu’à la mort d’une personne, les héritiers ont deux fois plus d’argent que les héritières. La France des Maliens Les jeunes ont vraiment envie de venir en France. Bien sûr, certains aiment leur vie là-bas. Quand on leur raconte la vie en France, ils sont choqués. Ils sont étonnés que je ne sois pas mariée à 18 ans, parce que là-bas, une fille de 18 ans, c’est déjà une adulte, elle est responsable, elle n’a plus besoin de ses parents. Ils s’étonnent aussi qu’en France un homme ne puisse pas avoir quatre femmes. Avec une seule femme, un homme a moins d’enfants qu’avec quatre… Or, mon cousin m’a expliqué que ce qui est important pour un Malien musulman, c’est de transmettre sa religion et de tout faire pour que l’Islam se développe dans les générations suivantes. Mes cousines au Mali, ça ne les dérange pas que leur mari ait plusieurs femmes, car en acceptant cela, la femme contribue aussi à la longévitée de l'islam . Mais moi… Jamais de la vie, mon mari n’aura quatre femmes, même si c’est une histoire de religion ! Tout simplement parce que j’ai été élevée ici. Même si je vis à la manière des Maliens; dans ma tête, je suis Occidentale. Un quotidien financé par l’exil Je ne sais pas si les Français réalisent la pression qui pèse sur les épaules des Maliens qui vivent en France. Les villageois sont fiers de ceux qui sont partis. Même s’ils ont peur que les sans-papiers se fassent expulser, je ne pense pas qu’ils se rendent compte à quel point c’est dur pour eux de vivre en France. Les villageois comptent sur l’argent envoyé par les immigrés pour acheter le bétail, la nourriture, payer les réparations... Mais je me demande s’ils ont conscience que beaucoup de Maliens ne gagnent pas beaucoup d’argent en France, que beaucoup habitent dans des foyers et qu’ils vivent peut-être moins bien que ceux qui sont restés au village. Surprise ? Pour moi, le Mali, ce n’était pas une énorme surprise. J’en connais le mode de vie. Là-bas, j’ai mangé du samé, du mafé, du fouto… Rien de nouveau, puisqu’en France, j’en mange depuis que je suis petite. Au début, notre famille malienne pensait qu’on mangeait vraiment comme des Français, avec des couverts. La première fois où j’ai mangé avec ma cousine, elle m’a demandé, étonnée : « Tu manges avec les mains ? ». Mais bien sûr que je mange avec les mains en France ! Sauf au resto, évidemment. Je pense que ça faisait plaisir aux villageois de voir que la culture malienne ne se perd pas, même chez les jeunes nés en France. Kaba.Assa
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